par Diane Ravitch, octobre 2010
Le Monde
Diplomatique, p. 19
Lorsque je suis entrée dans l’administration de
M. George H. W. Bush, en 1991, en tant que vice-ministre de l’éducation,
je n’avais aucune idée arrêtée sur la question du « libre choix » en
matière d’éducation ou sur celle de la responsabilisation des enseignants.
Mais, lorsque j’ai quitté le gouvernement deux ans plus tard, je défendais le
principe de la rémunération au mérite : j’estimais que les enseignants
dont les élèves obtenaient les meilleurs résultats devaient être mieux payés
que les autres. Je soutenais aussi la généralisation des tests d’évaluation,
qui me semblaient utiles pour déterminer avec précision quelles écoles avaient
besoin d’une aide supplémentaire. J’applaudis donc des deux mains quand, en
2001, le Congrès vota un texte allant en ce sens, la loi NCLB (« No Child
Left Behind », pas d’enfant laissé sur le bord du chemin), et de nouveau
lorsque, en 2002, le président George W. Bush signa son entrée en vigueur.
Aujourd’hui, en observant les effets concrets de
ces politiques, j’ai changé d’avis : je considère désormais que la qualité
de l’enseignement que reçoivent les enfants prime sur les problèmes de gestion,
d’organisation ou d’évaluation des établissements.
La loi NCLB exige que chaque Etat évalue les capacités de lecture et de calcul de tous les élèves, de l’équivalent du CE2 à celui de la quatrième. Les résultats de chaque établissement sont ensuite ventilés en fonction de l’origine ethnique, du niveau de maîtrise de l’anglais, de l’existence éventuelle de handicaps et du revenu parental. Dans chacun des groupes ainsi constitués, un résultat de 100 % de réussite aux tests doit être atteint avant 2014. Si, dans une école, un seul de ces groupes n’affiche pas de progrès constants vers cet objectif, l’établissement est soumis à des sanctions dont la sévérité va croissant. La première année, l’école reçoit un avertissement. Puis tous les élèves (même ceux qui ont de bons résultats) se voient offrir la possibilité de changer d’établissement. La troisième année, les élèves les plus pauvres peuvent bénéficier de cours supplémentaires gratuits. Si l’école ne parvient pas à atteindre ses objectifs dans une période de cinq ans, elle s’expose à une privatisation, à une conversion en charter school (voir plus loin), à une restructuration complète ou, tout simplement, à une fermeture. Les employés peuvent alors être licenciés. Actuellement, environ un tiers des écoles publiques du pays (soit plus de trente mille) ont été cataloguées comme n’accomplissant pas de « progrès annuels satisfaisants ».
La loi NCLB exige que chaque Etat évalue les capacités de lecture et de calcul de tous les élèves, de l’équivalent du CE2 à celui de la quatrième. Les résultats de chaque établissement sont ensuite ventilés en fonction de l’origine ethnique, du niveau de maîtrise de l’anglais, de l’existence éventuelle de handicaps et du revenu parental. Dans chacun des groupes ainsi constitués, un résultat de 100 % de réussite aux tests doit être atteint avant 2014. Si, dans une école, un seul de ces groupes n’affiche pas de progrès constants vers cet objectif, l’établissement est soumis à des sanctions dont la sévérité va croissant. La première année, l’école reçoit un avertissement. Puis tous les élèves (même ceux qui ont de bons résultats) se voient offrir la possibilité de changer d’établissement. La troisième année, les élèves les plus pauvres peuvent bénéficier de cours supplémentaires gratuits. Si l’école ne parvient pas à atteindre ses objectifs dans une période de cinq ans, elle s’expose à une privatisation, à une conversion en charter school (voir plus loin), à une restructuration complète ou, tout simplement, à une fermeture. Les employés peuvent alors être licenciés. Actuellement, environ un tiers des écoles publiques du pays (soit plus de trente mille) ont été cataloguées comme n’accomplissant pas de « progrès annuels satisfaisants ».
Point crucial, la loi NCLB a laissé les Etats
définir leurs propres modes d’évaluation. Ce qui a conduit certains d’entre eux
à abaisser leur niveau d’exigence… de façon à permettre aux élèves d’atteindre
plus facilement les objectifs. En conséquence, les améliorations du niveau
scolaire affichées localement ne se traduisent pas toujours dans les tests
fédéraux.
Le Congrès oblige les écoles à soumettre
aléatoirement certains de leurs élèves à une évaluation nationale, le National
Assessment of Educational Progress (NAEP), de manière à pouvoir comparer les
résultats obtenus avec ceux fournis par les Etats. Ainsi, au Texas, où l’on se
félicite d’un véritable miracle pédagogique, les scores en lecture stagnent
depuis dix ans. De la même façon, alors que le Tennessee chiffrait à 90 %
la part de ses élèves ayant atteint les objectifs de l’année 2007, l’estimation
du NAEP — 26 % — s’avéra moins flatteuse.
Des milliards de dollars ont donc été dépensés
pour mettre au point — puis faire passer — les batteries de tests nécessaires à
ces différents systèmes d’évaluation. Dans nombre d’écoles, les enseignements
ordinaires s’interrompent plusieurs mois avant la tenue des examens pour céder
la place à la préparation intensive qui leur est consacrée. De nombreux
spécialistes ont établi que tout ce travail ne bénéficie pas aux enfants,
lesquels apprennent davantage à maîtriser les tests que les matières
concernées.
Malgré le temps et l’argent investis, les scores
au NAEP n’ont guère augmenté. Parfois, ils ont tout simplement stagné. En
mathématiques, les progrès étaient même plus importants avant l’adoption de la
loi NCLB qu’après. En lecture, le niveau se serait amélioré pour l’équivalent
du CM1. Pour l’équivalent de la quatrième, les scores de 2009 sont les mêmes
que ceux de 1998.
Cependant, le problème principal, ce ne sont pas
les résultats eux-mêmes ni la manière dont les Etats et les villes manipulent
les tests. La véritable victime de cet acharnement, c’est la qualité de
l’enseignement. La lecture et le calcul étant devenus prioritaires, les
enseignants, conscients que ces deux matières décideront de l’avenir de leur
école et… de leur emploi, négligent les autres. L’histoire, la littérature, la
géographie, les sciences, l’art, les langues étrangères et l’éducation civique
sont relégués au rang de matières secondaires.
Depuis une quinzaine d’années, une autre
proposition a piqué l’imagination de puissantes fondations et d’opulents
représentants du secteur patronal : le « libre choix », qui
s’incarne notamment dans les charter schools
dont l’idée a germé à la fin des années 1980. Ces établissements ont depuis
formé un vaste mouvement, qui regroupe un million et demi d’élèves et plus de
cinq mille écoles. Financées par de l’argent public mais gérées comme des
institutions privées, elles peuvent se soustraire à la plupart des
réglementations en vigueur dans le système public. Ainsi, plus de 95 %
d’entre elles refusent d’engager des enseignants syndiqués. Et, lorsque
l’administration de l’Etat de New York a voulu auditer les charter schools qu’il avait autorisées, celles-ci sont allées en
justice pour l’en empêcher : l’Etat devait leur faire confiance et les
laisser procéder elles-mêmes à cet audit.
Le niveau de ces écoles est très inégal.
Certaines sont excellentes, d’autres, catastrophiques. La plupart se situent
entre les deux. Une seule évaluation en a été faite à l’échelle nationale,
celle de Margaret Raymond, économiste à l’université de Stanford (1). Pourtant financée par la Walton Family
Foundation, farouche partisane des charter
schools, elle révèle que seuls 17 % de ces établissements affichent un
niveau supérieur à celui d’une école publique comparable. Les 83 %
restants obtiennent des résultats similaires ou inférieurs. Aux examens du NAEP
en lecture et en mathématiques, les enfants fréquentant des charter schools obtiennent les mêmes
scores que les autres, que l’on s’intéresse aux Noirs, aux Hispaniques, aux
pauvres ou aux élèves habitant dans les grandes villes. Nonobstant, le modèle
fait figure de remède miracle à tous les problèmes du système éducatif
américain. Pour la droite bien sûr, mais aussi pour bon nombre de démocrates.
Ces derniers ont même formé un groupe de pression, les Démocrates pour la
réforme de l’éducation.
Certaines charter
schools sont dirigées par des intérêts privés, d’autres par des
associations à but non lucratif. Leur modèle de fonctionnement repose sur un
fort taux de renouvellement du personnel, car les enseignants doivent
travailler énormément (parfois soixante ou soixante-dix heures par semaine) et
laisser leur téléphone portable allumé afin que les élèves puissent les joindre
à tout moment. L’absence de syndicats facilite de telles conditions de travail.
Lorsque les médias s’intéressent au sujet, ils
se focalisent très souvent sur des établissements exceptionnels.
Intentionnellement ou non, ils donnent alors l’image de véritables
« paradis » peuplés d’enseignants jeunes et dynamiques et d’élèves en
uniforme, aux manières impeccables et tous capables d’entrer à l’université.
Mais ces reportages négligent certains facteurs déterminants. Tout d’abord, les
établissements de bon niveau recrutent leurs élèves dans les familles les plus
mobilisées scolairement. Ensuite, ils acceptent moins d’élèves de langue
maternelle étrangère, handicapés ou sans domicile fixe, ce qui leur donne un
avantage par rapport aux écoles publiques. Enfin, ils ont le droit de renvoyer
dans le public les éléments qui « font tache ».
Quand le mouvement en faveur des charter schools a pris son essor, il
reposait sur la certitude que ces établissements seraient fondés et animés par
des enseignants courageux et désintéressés, qui iraient à la rencontre des
élèves les plus en difficulté. Libres d’innover, ils pourraient apprendre à
mieux aider ces élèves et feraient bénéficier l’ensemble de la communauté des
connaissances acquises lorsqu’ils réintégreraient le système public. Mais
aujourd’hui ces établissements rivalisent ouvertement avec les écoles publiques.
A Harlem, les établissements publics doivent lancer des campagnes de
communication auprès des parents. Les budgets de 500 dollars (ou moins)
qu’elles consacrent aux plaquettes et aux brochures promotionnelles font pâle
figure à côté des 325 000 dollars alignés par le puissant groupe qui
tente de les chasser du secteur.
En janvier 2009, lorsque l’administration
de M. Barack Obama parvint au pouvoir, j’étais persuadée qu’elle
annulerait la loi NCLB et repartirait sur des bases saines. C’est le contraire
qui s’est produit : elle a épousé les idées et les choix les plus
dangereux de l’ère George W. Bush. Baptisé « Race to the Top »
(Course vers le sommet), son programme fait miroiter des subventions de
4,3 milliards de dollars à des Etats pris à la gorge par la crise
économique. Pour bénéficier de cette manne, ces derniers doivent supprimer
toute limite légale à l’implantation des charter
schools. Ainsi, leur expansion vient réaliser le vieux rêve des businessmen
de l’éducation et des partisans du tout-marché, qui aspirent à démanteler le
système public.
Or, il est absurde d’évaluer les enseignants
selon les résultats des élèves, car ceux-ci dépendent bien sûr de ce qui se
passe en classe, mais aussi de facteurs extérieurs tels que les ressources, la
motivation des élèves ou le soutien que peuvent leur apporter les parents.
Pourtant, seuls les enseignants sont tenus pour responsables. Quant à la
« transformation » des écoles en difficulté, il s’agit d’un
euphémisme destiné à masquer le même type de mesures que celles imposées par la
loi NCLB. Si les résultats ne s’améliorent pas rapidement, les établissements
sont transférés à l’Etat concerné, fermés, privatisés ou transformés en charter schools. Lorsque les autorités
de l’Etat de Rhode Island ont annoncé leur intention de licencier tout le
personnel enseignant du seul lycée de la ville de Central Falls, leur décision
a été applaudie par le secrétaire d’Etat à l’éducation, M. Arne Duncan, et
par le président démocrate lui-même. Récemment, le personnel a été réembauché,
à condition d’accepter de faire de plus longues journées et de fournir
davantage d’aide personnalisée aux élèves.
L’accent mis par l’administration Obama sur
l’évaluation a poussé les Etats à modifier leur législation dans l’espoir
d’obtenir les fonds fédéraux dont ils ont cruellement besoin. La Floride vient
de voter une loi qui interdit le recrutement d’enseignants débutants, fait
dépendre la moitié de leur salaire des résultats de leurs élèves, supprime les
budgets alloués à la formation continue et finance l’évaluation des élèves en
prélevant 5 % sur le budget scolaire de chaque circonscription. Parents et
enseignants ont uni leurs forces et sont parvenus à convaincre le gouverneur,
M. Charlie Crist, de ne pas signer la loi, ce qui a probablement mis fin à
sa carrière au sein du Parti républicain. Mais des mesures semblables sont
prises un peu partout dans le pays.
Diane
Ravitch
Chercheuse
en sciences de l’éducation à l’université de New York. Elle a notamment publié The Death and Life of the Great American
School System : How testing and Choice Are Undermining Education,
Basic Books, New York, 2010.
Ce
texte a été initialement publié dans The
Nation (New York) du 14 juin 2010, sous le titre « Why I changed my mind ».
(1) « Multiple choice : Charter school performance in 16 states », PDF, Center for Research on Education Outcomes (Credo), Stanford University, juin 2009
(1) « Multiple choice : Charter school performance in 16 states », PDF, Center for Research on Education Outcomes (Credo), Stanford University, juin 2009
[i] « Multiple
choice : Charter school performance in 16 states », PDF, Center
for Research on Education Outcomes (Credo), Stanford University,
juin 2009.
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